Les particules d'ombre affluèrent et se reconstituèrent juste devant les ruines de la citadelle d'Okugi Rikou. Il n'avait pas été présent à la bataille, encore enfermé dans le néant avec les autres êtres mythologiques, mais les rapports des Cavaliers et de Zakk lui avaient permis de reconstituer l'essentiel de ce qui s'était produit en son absence, ou tout du moins ce dont l'Echiquier avait eu vent. La destruction d'Okugi Rikou par les déesses n'avait été un secret pour personne, au contraire c'était même un coup d'éclat qu'elles avaient soigneusement organisé pour montrer leur puissance au monde. Thanatos était venu ici pour une seule et unique chose, et c'était Kirua qui l'avait mis sur la piste inconsciemment. Ce dernier avait semblé savoir un certain nombre de choses, bien qu'erronnées en un sens selon le Premier Cavalier, sur son passé et celui d'Ayato Bidan.
Thanatos avait toujours eu sa version des faits, plus ou moins corroborée par Rubis. La version présentée par Kirua donnait quant à elle le beau rôle à Ayato. Au su du faible nombre de personnes ayant eu connaissance de leur passé, et ayant appris que des dégâts avaient été causés antérieurement au Fort de la Cross Gard, le Premier Cavalier en avait déduit que des archives de la main d'Ayato avaient été découvertes, comme il l'avait déjà soupçonné à Kaldea avec Kirua. La Phoenix Guard étant trop récente pour être à l'origine de cela, il ne restait logiquement qu'un groupe ayant pu mettre la main sur ces archives et les ayant mises à la disposition de Kirua : Ichimen Okugi. Ces derniers s'étant fait avoir par surprise à un tel point qu'il n'avaient même pas pu évacuer les civils de la forteresse, les soldats et surtout les villageois, les probabilités qu'ils emportent quelques archives déjà consultées était nulles. Autrement dit elles étaient encore là, c'était aussi simple que cela.
Le Premier Cavalier posait un regard froid et calme sur les décombres, les scrutant de son oeil rouge. En dépit de sa sérénité apparente, il bouillait intérieurement de pouvoir enfin reconstituer ce puzzle. Pourquoi Ayato avait-il tué tous les villageois de Lyytha ? Où s'était-il procuré les puissants Ärms qu'il avait utilisé à la Croisée des Chemins ? Et enfin, qu'avait-il fait de Ankh ? Le doute commençait à s'insinuer en lui. Qu'allait-il réellement trouver dans ces archives ? Apporteraient-elles réellement une réponse ?
Quelque chose attira alors son attention. Son oeil percevait un très faible rayonnement, correspondant à l'énergie d'Ayato qui avait dû manier tant et tant ce journal au cour des années, et qui gardait son empreinte. C'était cela qu'il cherchait. Thanatos tourna la tête et avança droit dans la direction du rayonnement. Visiblement, le journal était dans une sorte de coffre en métal épais et blindé. Le Premier Cavalier considéra le coffre un instant, et l'éventra d'un coup de poing. Au milieu des débris de métal, sa main ressortit, tenant un épais carnet. Il ignora totalement les Pyutas qui reposaient au fond du coffre et se tourna.
« L'heure de vérité, j'imagine. »
Il expira légèrement, inspira. Expira. L'heure de vérité. L'heure de vérité. Pourquoi tout cela était-il arrivé ? La réponse. Juste là. Entre ses doigts.
« Voyons cela. »
Thanatos ouvrit le carnet, jusqu'à la première page manuscrite, et se mit à lire. Deuxième jour de l'année 1 de la Cross Guard. Ayato présentait une rétrospective des évènements de Lyytha. Et ce que Thanatos lut le sidéra. C'était tout simplement impossible. Mensonges éhontés, fausse vérité, paradoxe absolu. Tout seul, ce journal valait beaucoup. Mais associé aux connaissances de Thanatos sur l'affaire, celles-là même qu'il avait écrites dans son testament, c'était tout simplement démentiel. Les évènements de Lyytha n'étaient qu'une simple roue dans l'engrenage, tout ces massacres n'étaient que l'infime partie d'un plan immense. Ayato et Thanatos lui-même n'avaient été que de simples pions, et le Premier Cavalier lui-même n'avait commencé à passer de marionnette à marionnettiste que depuis son retour du néant. Rubis était en partie à l'origine de la machination, elle avait contribué à monter Ayato et Thanatos l'un contre l'autre mais cela n'était qu'un détail sur l'immense Echiquier, un Echiquier sur lequel elle ne jouait pas seule. Il y avait quelqu'un d'autre, un homme. Thanatos ignorait son identité mais avait désormais un très fort soupçon. Et il y avait nécessairement une troisième personne, qui n'était citée dans aucun des deux récits, probablement parce qu'elle était intervenue quand Thanatos et Ayato étaient tous deux inconscients.
Le Premier Cavalier referma le journal, encore sous le choc des révélations qu'il venait d'avoir. Il glissa l'objet dans son manteau et s'assit dans les décombres, avant de s'allonger sur le dos, les mains plaquées sur le visage. Tout ça pour quoi ? Il ne le savait pas encore lui-même, mais le souvenirs de sa vie humaine se bousculaient dans son esprit. Qui était-il vraiment au final ? Un dieu issu des temps mythologiques, ou un simple mortel du nom d'Alkae, précipité dans quelque chose qui l'avait dépassé ? D'autres souvenirs arrivaient, de sa vie mythologique celle-là. Des souvenirs inédits. Des souvenirs qui le glaçaient. Puis soudain il se mit à rire. Toutes ces choses qui étaient arrivées, qui s'étaient mises bout à bout pendant plus de trois mille ans. Toutes ces choses s'étaient collées pour former un tout complexe, incroyablement complexe et enchevêtré, aussi cohérent que cruel. Il se mit à rire encore plus fort, comme un dément, les mains toujours plaquées sur les yeux d'où coulait un sang doré en guise de larmes. Les dernières questions, il les balaierait. Il n'était plus un Pion. Il était réellement, pleinement devenu le Premier Cavalier de son bord de l'Echiquier du Monde. Il ne craignait plus la porte du laboratoire. Il savait. Il avait vu la Vérité. La Karma effroyable, abominablement ironique de son être, il le connaissait à présent. Sa Vérité.